« Khöömii » (litt. pharynx) désigne la technique vocale d’une personne superposant intentionnellement plusieurs sons simultanément avec sa voix, dont deux lignes distinctes : une mélodie d’harmoniques réalisée au-dessus d’un son fondamental appelé « bourdon », accompagnés de multiples résonances.

Pratiqué par les peuples mongols et turcs dans toute la zone de l’Altaï (en Mongolie au niveau national ; régions russes de la République de l’Altaï, de Khakassie et de Touva ; Chine au nord du Xinjiang et Mongolie-Intérieure), le khöömii est une technique vocale sans doute très ancienne, dont les origines restent difficiles à dater précisément.  Les légendes racontent que le khöömii viendrait de l’imitation du souffle du vent, des sons de l’eau, du chant des oiseaux. Il est pratiqué par les hommes le plus souvent, mais aussi par les femmes depuis deux générations. Le khöömii est une tradition vivace aux nombreuses facettes et un patrimoine culturel important des peuples mongols.

Concernant l’aspect technique, les harmoniques viennent du bourdon vocal et sont émis grâce à une pression simultanée du pharynx et du diaphragme. Pour effectuer une mélodie, le diphoneur ou « khöömiich », module ses lèvres ou sa langue à l’intérieur de la bouche. Selon la modulation, la hauteur de bourdon et la pression exercée sur la gorge, on trouve de nombreuses techniques de khöömii, identifiables par leurs variations du timbre vocal. Elles se regroupent sous deux styles principaux : le kharkhiraa khöömii (khöömii profond) et l’isgeree khöömii (khöömii sifflé).

  • L’émission kharkhiraa : le diphoneur réalise un bourdon dans une voix de gorge puis, en pressant simultanément sur le pharynx, l’abdomen et le diaphragme, après avoir pris une bonne inspiration, il réalise un son grave qui vibre une octave inférieure au son fondamental produit. Il fait vibrer, en plus de ses cordes vocales, les bandes ventriculaires (ou fausses cordes vocales). Le son grave et rauque que l’on entend au premier plan caractérise le style kharkhiraa. Par-dessus cette double-basse, le diphoneur réalise une mélodie d’harmoniques aigus.
  • L’émission l’isgeree khöömii : le diphoneur produit un bourdon avec une voix de gorge puis, toujours en pressant simultanément sur le pharynx, l’abdomen et le diaphragme, après avoir pris une bonne inspiration, réalise un sifflement harmonique qui peut vibrer de une à plusieurs octaves au-dessus du son fondamental. On entend alors une mélodie d’harmoniques au sifflement très aigu. Isgeree khöömii est aussi appelé nariin khöömii (khöömii aigu), uyangyn khöömii (khöömii mélodieux) et Altain shingen khöömii (khöömii aigu de l’Altaï).

Dans les deux cas, pour le kharkhiraa khöömii comme l’isgeree khöömii, la manière de réaliser la mélodie d’harmoniques est commune. On module l’intérieur de la cavité buccale, soit en ouvrant et en refermant les lèvres, soit en avançant la langue de l’avant vers l’arrière de la bouche, en laissant sa pointe collée au palais, soit en avançant la partie centrale de la langue d’avant en arrière, la pointe de la langue placée contre la partie inférieure des dents.

S’ajoutent à cela des techniques pour enrichir le timbre de la voix et d’autres à caractère ornemental. On peut d’ailleurs les combiner entre elles. Parmi plus d’une vingtaine de techniques existantes, on rencontre notamment bagalzuuryn khöömii (khöömii de gorge), tsuurai khöömii (khöömii écho), khamryn khöömii (khöömii de nez) ou encore dangildakh khöömii (khöömii syllabique). Les diphoneurs utilisent l’émission vocale shakhaa pour chanter les louanges magtaal, en conservant un timbre guttural proche de la phase d’installation du khöömii.

En Mongolie, pratiqué dans le contexte nomade pastoral des régions de l’ouest, suite à sa spectacularisation et son enregistrement à partir des années 1950, le khöömii a été diffusé à grande échelle. Ainsi, à travers la politique culturelle de la période soviétique, il est devenu l’un des emblèmes de la musique nationale mongole, renforcé par sa participation régulière aux tournées internationales dès les années 1960.

Depuis la révolution démocratique de 1990, avec l’ouverture de la Mongolie et l’académisation du khöömii, cette tradition évolue rapidement : les styles et les techniques se multiplient, le répertoire s’étoffe, le développement de son enseignement le fait connaître davantage. On le pratique de nos jours dans tout le pays et aussi à l’étranger.

La diffusion du khöömii à grande échelle a non seulement contribué à sensibiliser le public et multiplier le nombre de praticiens, mais aussi à développer les recherches sur cette technique vocale dans le monde entier. De nombreux travaux académiques ont été produits par des chercheurs de  Mongolie, Russie, États-Unis, France, Japon, Allemagne, Canada etc. dans les disciplines de l’anthropologie, l’ethnomusicologie, l’acoustique, la phonologie et la médecine. Malgré tous ces efforts, force est de constater une lacune importante dans la cohérence et les échanges entre les travaux des chercheurs étrangers et mongols.

Depuis 2010, l’Art traditionnel du khöömii mongol est inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’UNESCO. Les recherches de Johanni Curtet et les enregistrements publiés par Routes Nomades ont contribués parmi d’autres à documenter le dossier de candidature du khöömii auprès de l’UNESCO.

Parmi les diphoneurs invités par Routes Nomades, N. Sengedorj, B. Odsüren et R. Davaajav, D. Tserendavaa, E. Toivgoo et B. Papizan font partie des principaux acteurs du développement du khöömii, tandis que N. Ganzorig, B. Amartüvshin, Ts. Tsogtgerel, D. Batsükh et P. Ösökhjargal représentent la jeune génération des musiciens professionnels avec des expérimentations vocales plus récentes.